L’histoire d’une Maison Bourgeoise qui devint une villa Urbaine

En 1782, un jeune arpenteur Nocéen prénommé Baudile, sous les ordres de l’arpenteur royal Simane, découpe les 528 arpents du vaste terroir de Neuilly en 6 parties. La majorité des arpents sont des terres labourables. Il regroupe des lieux-dits et les répertorie en indiquant l’implantation de grandes propriétés qu’il nomme « châteaux ». Un tracé « la route d’Allemagne » qui passe par Nogent et Neuilly est ouvert devant l’une d’elles.

En 1795, le baron Liborel âgé de 56 ans quitte Arras, sa ville natale. Il est nommé juge à la Cour de Cassation à Paris au moment où Robespierre – dont il fut le mentor – est guillotiné. Vidocq, un autre personnage célèbre de l’Artois qui inspira Victor Hugo, Honoré de Balzac et Alexandre Dumas père, se rend aussi dans la capitale. Le baron achète des terres et une maison de campagne à Neuilly, qualifiée de château. Il possède plusieurs hectares dont une partie des terres de Maison Blanche acquises sous le Directoire entre 1795 et 1799 et une autre vaste étendue près de l’actuel tracé de la grande route sur laquelle est bâtie une demeure qualifiée de château. Elle occupe 23 arpents pour les bâtiments, cours et jardins. C’est un domaine clos avec pièces d’eau et jardin paysager. Il est également propriétaire des terres et de bois de peupliers au lieu-dit « le Grand Marais » près de la Maltournée. Il possède les « Prés du Temple » qui appartenaient aux religieux sous l’Ancien régime, « Le champ Perdu, Les Faucherets, La Grande Pièce, Le Petit Bois » qui sont des terres de pâturages. Au XVIIIème siècle, Neuilly s’étoffe avec la construction de bâtiments notoires proches de ce « château », l’auberge du Grand Cerf, la Maison des notaires et les premières demeures de villégiatures. On dénombre 135 petites bâtisses sur l’ensemble de la contrée. En 1806, la bourgade compte environ 600 habitants. Le baron Liborel meurt en 1829. Aux termes du partage de la succession de son épouse qui décède en 1834, la marquise de Maleville, dont le mari est Pair de France et conseiller à la cour de Cassation, hérite d’une partie de la propriété.

En 1850, la mairie est agencée à proximité sur un terrain occupé jusqu’alors par un relais de poste.

En 1866, un alsacien, Eugène Flaxand, négociant et expert aux comptes, s’installe dans la région. Il acquiert le domaine situé 7 rue de Paris sur lequel existe une maison de maître appartenant à M. Greyveldinger et Mme Vienot. Le nom des rues autrefois désignées par la tradition est maintenant écrit et les maisons sont numérotées. L’année suivante, il fait édifier l’actuelle maison bourgeoise et achète d’autres terrains. La propriété s’est étoffée de quelques dépendances, d’un potager et d’une cascade. Elle s’étend du Nord au Sud du boulevard de la République jusqu’à la Marne et d’Est en Ouest du boulevard Carnot à la rue des Martyrs de la Déportation. La France à ce moment se distingue par son influence artistique avec l’émergence de nombreux écrivains Honoré de Balzac, Victor Hugo… et musiciens Hector Berlioz, Edouard Lalo… Son frère Frédéric Flaxand fait construire de l’autre côté de la rue au 48 rue Théophile Gaubert une villa au milieu d’un parc où il aurait reçu Camille Saint-Saëns, ami de Gabriel Fauré.

En 1885, Eugène Flaxland meurt et laisse la propriété à son épouse Amélie Lebreton, qui cède à la Compagnie des Eaux une partie des terres qui s’étendent sur les rives de la Marne. À son décès, ses neveux et nièces dont M. et Mme Guérin héritent de la propriété. Au début du XIXème siècle, on trouve 14 « Guérin » sur les registres de l’état-civil répertoriés vignerons, cultivateur, jardinier, journalier, laitier, manouvrier et soldat. À partir de 1887, la Compagnie des Chemins de fer Nogentais met en service le tramway qui passe entre les domaines des deux frères pour se rendre à Paris. Alors que la capitale se prépare pour l’Exposition Universelle, en 1891 la Compagnie Générale des Eaux installe une usine de pompage et de filtrage sur les terrains cédés par la veuve. La Révolution industrielle est en marche. Les machines Farcot fleuron de la Compagnie des Eaux et de cette période sont conservées sur ce site des bords de Marne.

En 1892, la commune de Neuilly-Plaisance est créée à partir d’un tiers du territoire de Neuilly et les deux autres tiers deviennent Neuilly-sur-Marne où est édifié le château Guérin. Le baron Haussmann dirige les transformations et les grands travaux dans la capitale. L’instruction étant rendue gratuite, laïque et obligatoire par les lois Jules Ferry, en 1895, boulevard de la République on inaugure la 1ère école communale.

En 1953, la propriété appartient à la famille Guérin-Lechalas-Pillet et la rue de Paris devient le boulevard du maréchal Foch. Un nouveau répertoire situe aujourd’hui la propriété au 39 avenue du Général de Gaulle. La « route d’Allemagne » contigüe au château Guérin ouverte au XVIIIème siècle est élargie en 1960 et elle coupe le domaine d’une partie de son parc. C’est l’actuel tracé de la RN 34.

En 1962, le château Guérin rénové accueille le conservatoire municipal de musique. En 1972, le 1er et le 2ème étage sont affectés au conservatoires de musique et de danse. La bibliothèque qui a acquis plus de 10 000 volumes s’installe au rez-de-chaussée pendant 10 ans.

En 1976, le conservatoire de danse déménage à son tour et le conservatoire de musique Gabriel Fauré occupe les 3 niveaux. L’église Saint-Baudile ayant acheté l’orgue romantique Merklin en 1884, période où Gabriel Fauré était élève à l’école de musique religieuse Niedermeyer de Paris et maître de chapelle, on peut imaginer que le choix de ce nom est peut-être un hommage rendu à cet immense compositeur, pianiste qui fût organiste titulaire Grand Orgue d’église pendant 30 ans.

Petit à petit, le domaine est acheté par la commune jusqu’en 1976 et plusieurs constructions y ont été réalisées ; la résidence La Cascade, l’Hôtel des Postes, le Centre de la Sécurité Sociale, le Centre des Impôts et le nouvel Hôtel de Ville en 1987.

Entre temps, en 1982, Madeleine Lommel fonde une collection d’art brut et crée l’association L’Aracine. En septembre 1984, le 1er musée d’Art Brut en France ouvre ses porte dans les caves voûtées en pierres apparentes et rénovées du château Guérin : 350 œuvres (peintures, sculptures, modelages, dessins, machines en bois animées…) appartenant à 25 auteurs sont exposées. Le musée est agréé par le Ministère de la Culture. En 1990, il possède près de 1 000 œuvres et ne peut pas toutes les exposer. Il déménage en 1995 à Villeneuve-d’Ascq et à Lille dans des locaux plus spacieux.

Aujourd’hui le « château Guérin » réaménagé, accueille le conservatoire municipal de musique dans des classes spacieuses. Au rez-de-chaussée 3 grandes salles : André Dauchy, Frédéric Chopin, Olivier Messiaen. Au 1er étage, 7 salles : Erik Satie, Antonio Vivaldi, Amadeus Mozart, Claude Debussy, Johannes Brahms, Georges Bizet. Au 2ème étage 5 salles : Jacques Pujol, Maurice Ravel, Camille Saint-Saëns, Albert Roussel, Robert Schumann.

L’architecture

C’est le style néo-Louis XIII primitif avec une toiture en ardoise à la Mansart. La demeure s’élève sur 2 étages. Les murs de briques polychromes rouge et brun sont ornés d’éléments en pierre tels que chaines d’angle, encadrement de fenêtres, bandeau à larmier, corniche à modillons et chaines de refends au rez-de-chaussée des avant-corps. La composition de la façade sur rue est symétrique, organisée autour des avant-corps. La partie centrale comporte 3 travées avec 2 petites fenêtres ornées de vitraux au 1er étage. Les avant-corps et les parties latérales comportent 1 travée de baies aux linteaux en arc surbaissé ornés d’une clef de voûte, surmontée de lucarnes à frontons cintrés et encadrées de volutes ; les toitures à pavillon des avant-corps sont percées d’œils-de-bœuf. La façade arrière, au rez-de-chaussée est percée de 3 portes-fenêtres cintrées et groupées, donnant sur une terrasse et protégées par une verrière en fer et en verre. De chaque côté se trouve une grande baie au linteau en arc surbaissé. La cave qui s’étend sous toute la surface de la demeure. Elle est formée de voûtes en pierres apparentes. À l’extérieur, la cour est ornée de pavés. Très à la mode dans les hôtels particuliers. Ce matériau permet de résister à l’usure des roues des diligences hippomobiles. 

La structure

La propriété répond aux exigences du statut social de son propriétaire. Elle possède de vastes pièces pour accueillir les visiteurs et organiser les réceptions, de nombreuses et grandes fenêtres. Elle est bien en vue et exprime la réussite familiale et professionnelle : choix du site, des matériaux, taille, nombre d’étages et éléments décoratifs font partie de la symbolique bourgeoise. Il ne reste que 4 cheminées en marbre aujourd’hui. Un escalier intérieur avec une rampe en fer forgé est la pièce maîtresse du grand hall d’entrée. Les 3 premières marches sont en marbre et les suivantes en bois. La propriété est entourée jusqu’au XIXème siècle de bois, jardins, bassins, d’un parc, de grands arbres et d’un mur d’enceinte. La haute grille extérieure en ferronnerie d’art indique l’entrée de la demeure. Les moulures, les hauts plafonds, les stucs en relief, les portes, le parquet, les cheminées et les boiseries sont d’origine. Le sol dans le hall d’entrée de la maison réalisé en mosaïque valorise l’espace.

Le parc

Dans les manuscrits médiévaux, on trouve une ébauche qui mentionne les marécages et des pâturages. Daniel-Charles Trudaine, intendant et cartographe, est administrateur des Ponts et Chaussées. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, il cartographie les routes de France, leurs abords et les cours d’eau. Il réunit 3 000 planches manuscrites et aquarellées. C’est peut-être la première trace et source d’information fiable d’une description élaborée qui est faite du paysage de Neuilly-sur-Marne. Notre commune est parsemée et entourée de bois, de forêts, de marécages comme les communes riveraines. Le parc du château est à l’origine une forêt. Il semble qu’il soit coupé par la voie romaine qui est aujourd’hui la rue du Général de Gaulle. Les arbres sont conservés et se regénèrent naturellement. Il n’y a pas de bosquets, de jardins d’agrément ou de plantes ornementales. Un potager est créé en 1867 par Eugène Flaxand. Il n’y a pas, non plus, de certitude sur la période de création de la mare et sur son origine, elle est datée de la fin du XIXème siècle environ, où est édifiée une cascade qui fonctionne de mai à octobre. Lorsque la résidence éponyme est construite, au début des années 1950, un ouvrage similaire est réalisé. La superficie actuelle du parc est à peu près de 10 500m². Le parc boisé est aménagé avec du mobilier urbain, des structures de jeux pour les enfants, un terrain de foot et un terrain de basket.